Si l’on prend le temps de s’y consacrer la parentalité en général et la paternité en particulier est une chose passionnante. En ayant la chance de fréquenter de petits êtres en cours de création, on accède aux racines de l’âme humaine, à ce qui existe quand il n’existe presque rien, quand les choses sont encore simples, quand les choses essentielles ne sont pas encore embrouillées par des protections contradictoires.
En faisant cette expérience, j’ai eu l’occasion d’une découverte à la portée inattendue.
Le cadre expérimental
Mon fils doit avoir huit mois quand cette histoire commence. Pour ceux qui n’ont pas eu la chance de vivre cette première année d’un premier enfant, imaginez que vous avez un second travail qui prend autant de temps que le premier mais sans week-end pour récupérer, avec un manque chronique de sommeil, où on attend que vous résolviez des problèmes pour lesquels vous n’avez pas été formé et où l’aide des autres oscille entre des solutions impérieuses mais qui ne fonctionnent pas et des "oh mais ça va de soit, c’est la nature" qui se résument à "démerde toi" (et je l’ai compris plus tard à "on en sait rien, on s’est pas posé la question"). Bref, c’est une année fatigante et stressante. Et l’un des problème est d’arriver à concilier tout ce qu’il y a à faire.
Donc, il a huit mois. A cette époque, le soir quand je rentre, j’essaie de me débarrasser d’abord de ce qu’il faut faire pour pouvoir ensuite passer du temps avec lui. Or le petit enfant est en demande d’attention, d’affection, de jeu et le fait savoir, bruyamment si nécessaire. Cela rend encore plus pénibles les tâches "à faire" (ménage, rangement, cuisine, paperasse), et je les termine énervé et avec une envie de m’occuper de lui ... érodée ! Pourquoi est-ce que j’ai vécu une heure d’enfer alors que je viens de faire ce qu’il fallait ? C’est injuste... "ce qu’il fallait" ?
La découverte
Un jour pourtant (ou était-ce une nuit ?), je décide de faire l’inverse. De passer d’abord du temps avec lui et de faire plus tard les choses "à faire". J’ouvre une parenthèse mentale qui durera aussi longtemps que possible et où il sera le seul sujet de mon attention. S’ensuit un moment consacré aux jeux, aux câlins et aussi simplement à le regarder jouer avec attention et tendresse, en réalité à le regarder être. Et, là l’imprévu se produit, bien avant que ne revienne ma culpabilité d’avoir laissé le reste en plan. A un moment donné, mon fils se retourne et part ! C’était l’heure pour lui d’aller explorer le monde (enfin l’appartement). Son besoin de câlin et de présence que je croyais sans fond avait été satisfait. Et plus surprenant, étant repu d’attention, plus encore que d’affection, il ne s’était pas rendormi, il était parti explorer le monde avec courage et curiosité.
J’en tirais deux conclusions. Premièrement, l’étendu des méprises possibles dans la parentalité était sans borne, je m’étais planté pendant des semaines en essayant de faire ce qui me paraissais le mieux. Mais surtout : les enfants se nourrissent de lait et d’attention et ce sont les deux choses absolument essentielles à leur développement ; bien plus que toutes les règles toutes faites (qui servent surtout à ne plus faire attention puisque l’on a une règle à appliquer sans réfléchir). Cette petite phrase devient mon credo parental. Je tâche de l’appliquer aussi souvent que possible. Et je ne me prive pas de le répéter aux jeunes parents déboussolés que je croise par la suite.
La prise de conscience
Il se trouve que la naissance de ma fille va me donner l’occasion de croiser beaucoup de jeunes parents (généralement primipares). Car nous avons la chance de pouvoir la faire garder dans une crèche parentale. Je pense tellement de bien de ce types de structure que cela mériterait plusieurs articles. Retenez simplement qu’elles amènent à fréquenter intensément les autres parents. Cela m’a donc permis de répéter à qui voulait l’entendre, pendant trois ans, le petit credo parental que j’étais si fier d’avoir découvert. Les enfants vivent d’attention et de bon lait chaud. Finalement un peu par auto-dérision, j’ai fini par ajouter avec humour "comme les adultes d’ailleurs". Par humour seulement ? Pas tout à fait. Mon expérience simultanée avec le milieu associatif m’avait montré l’importance de la reconnaissance, et parfois simplement de l’attention.
Cette idée fit son chemin et rapidement je me mis à voir partout autour de moi, dans la parentalité, dans l’amitié, dans le travail ou l’associatif, dans la rue, l’importance énorme de l’attention. Et soudain une question s’imposa à moi l’attention n’était elle pas une vertu structurelle de la société, souvent invisible et toujours impensée ?