Vers une éthique de l’attention : comprendre pour faire mieux

, par Julien Falconnet

Si l’attention est au fondement de toute qualité, voire de tout bien, si c’est une vertu, alors il est moral de chercher à accroître la capacité d’attention. Encore faudrait-il la définir et analyser son fonctionnement pour permettre son accroissement.

Problématique de l’attention

Puisque l’attention est un grand bien et que tout le monde le sent plus ou moins consciemment, pourquoi ne sommes nous pas toujours bien attentifs à tout moment de notre vie ? Pourquoi sommes nous plus facilement attentifs à certaines choses qu’à d’autres ? Est-ce une histoire de goût ? Peut on influer sur cet état de fait ? Existe-t-il des freins à l’attention, des intérêts opposés à l’attention.

Se consacrer (ou se sortir les doigts...)

Lorsque j’ai commencé à me poser ces questions, la première piste que j’ai vue était l’application. Quand je souhaitais améliorer la qualité de mon travail, eh bien, je faisais un effort pour me concentrer, pour être attentif à ce que je faisais. Au bout d’un moment j’étais fatigué et il fallait que j’aille me reposer.

Je sortais de cette piste, déçu. Si c’était simplement une question de repos et d’énergie à investir avec velléité, alors la perspective d’accroissement était très limitée. La vie se résumait alors à être attentif le temps où on était capable d’effort, puis attendre le prochain repos avant de pouvoir à nouveau avoir des moments de vie intéressants. Tout au plus pourrait on réfléchir autour de la notion de récupération optimale. Bref, une vie d’effort.

Il fallait que je trouve d’autres pistes.

Ritualiser

Cette piste est en réalité la troisième que j’ai envisagée. Constatant que certaines choses de qualité se faisaient quotidiennement avec beaucoup moins d’effort que d’autres, et elles étaient souvent répétitives. Par exemple, le matin, je me réveille beaucoup mieux en suivant toujours le même enchaînement d’action. On pouvait faciliter la discussion avec quelqu’un en buvant un verre, etc. Un certain nombre d’auteurs ont indiqué avoir un rituel préalable à l’écriture. Certains utilisent même la musique pour tout type d’activités.

Bref, il semble que le rituel facilite l’attention et la qualité qui en découle. Actuellement, je pense en réalité que le rituel abaisse la quantité d’énergie nécessaire à l’attention, plus qu’il ne crée de la capacité d’attention. En effet, lorsque je suis réellement épuisé, même un rituel éprouvé ne suffit pas à provoquer une attention de qualité.

Il faudrait encore caractériser la notion de rituel et voir comment mettre en place des rituels pertinents et efficaces.

Se passionner

Cette partie aurait pu s’appeler "être séduit" [1], "suivre ses motivations", "s’animer", etc. En réalité, nous manquons d’un terme pour décrire ce qui attire notre attention, ce qui la provoque. Par exemple, la publicité est devenue particulièrement puissante à attirer notre attention. Ne vous est-il jamais arrivé de peiner à finir une phrase parce qu’une publicité avait littéralement volé votre attention ? Je parle souvent des choses qui ravissent notre attention en disant qu’elle sont "sexy". Cela inclue les filles mais c’est beaucoup plus général.

Une première manière d’accroître sa capacité d’attention serait donc de se consacrer à ce qui nous attire, à ce qui sollicite naturellement notre attention, sans avoir à faire d’effort. Et d’ailleurs, je pense que c’est ce que nous faisons tous assez naturellement sans nous en rendre compte quand nous regardons une fiction à la télévision. Tout se passe comme si naturellement nous cherchions sans nous en rendre compte à optimiser le temps d’attention.

Mais encore une fois, c’est un état de fait. Que faire si rien ne nous passionne ? Que faire si ce qui nous passionne a trop d’effets négatifs, comme les addictions [2] par exemple.

Il serait bon de pouvoir faciliter, orienter, choisir ce qui nous passionne. Il serait pratique de décider de ce qui nous intéresse. Si l’on pouvait décider de ce que l’on trouve séduisant alors la vie serait extrêmement facile, et plaisante. Évidemment c’est plus compliqué. Si on regarde la publicité, on verra qu’elle exploite ce qui nous séduit déjà, d’ailleurs ce qui séduit tout le monde en moyenne. Ce n’est pas dans cette direction que l’on cherchera, mais si on a la compétence de la publicité pour enrober des problématiques humaines dans un paquetage d’envies orientées, c’est peut être une piste à utiliser. Sauf que le boulot de la pub, c’est un vrai boulot et que ça prend du temps de l’énergie et ... de l’attention. Bref, pas sûr que ce soit rentable.

Une autre piste est à chercher du côté de l’intérêt. Au delà de "qu’est ce qui nous intéresse ?", on cherchera le "Pourquoi sommes nous intéressés par quelque chose ?".

Une récente discussion m’a amené à réfléchir à la notion d’enjeu. Souvent ce qui nous nous intéresse porte un enjeu qui est important pour nous. Il suffit donc de placer correctement des enjeux pour faciliter le fait de se passionner pour quelque chose et donc de pouvoir y être attentif.

Première conclusion et fantômes cachés dans l’ombre

Pour solliciter sa capacité d’attention on a donc mis en lumière trois pistes :
 y consacrer son énergie
 mettre en place des rituels
 suivre son intérêt

Mais dans les ombres se cachent un certain nombre de problèmes irrésolus :
 pour consacrer son énergie, encore faut-il avoir une manière efficace de récupérer son énergie. Existe-t-il des manières de se reposer plus efficaces que d’autres pour restaurer sa capacité d’attention ?
 la mise en place de rituel permet de baisser l’énergie nécessaire à l’attention, mais comment crée-t-on un rituel efficace ?
 l’intérêt sollicite l’attention, et la mise en place d’enjeux semble permettre d’orienter l’intérêt. Mais qu’est ce que l’enjeu ?

Notes

[1la séduction s’entendrait alors comme "ce qui sollicite notre attention sans que nous ayons à faire d’effort"

[2Au sujet des addictions : on voit par le prisme de l’attention que les addictions cumulent généralement deux pistes d’attention : le rituel et l’inclinaison/séduction