Mauvaise foi réthorique

, par Julien Falconnet

"Je ne fais jamais rien pour les autres !"

Un ami me disais un jour quelque chose comme ça. Surpris, car je lui connaissais une certaine générosité, je cherchais à en savoir plus...

Après une longue et complexe discussion, mon ami m’avait démontré que c’était vrai.

Il ne faisait effectivement rien "pour les autres" puisque en réalité, lorsqu’il faisait quelque chose qui faisait plaisir aux autres, cela lui procurait un plaisir empathique. Et que donc c’était ce plaisir empathique qui l’intéressait. Il balayait donc au passage le bien fondé de cadeaux qui ne feraient pas plaisir. Par extension la démonstration fonctionnerait très bien pour la plupart des rapports sociaux : on travaille pour un salaire, on s’investit dans l’associatif par plaisir de se sentir utile, on fait des choix éthiques pour la chaleur douillette d’une bonne conscience, etc...

Cette discussion m’a fait réfléchir pendant longtemps. Et j’ai régulièrement retrouvé un argumentaire proche chez des personnes intelligentes avec un goût pour le non-conformisme.

Mais je me suis aperçu assez rapidement que la conclusion de cette démonstration posait problème. En effet ; la démonstration permet de démontrer que personne ne fait jamais rien pour les autres, qu’il est impossible de faire quelque chose pour les autres. On pourrait éventuellement, par hasard, faire quelque chose qui se révèle positif pour les autres, mais ça ne serait pas dans le cadre "pour les autres", avec l’intention que cela implique puisque ce serait par hasard.

Du fait du haut niveau d’abstraction de la démonstration elle vide de sens ce à quoi elle s’oppose.

Puisque "faire quelque chose pour les autres" n’a plus de sens, "ne rien rien faire pour les autres" n’en a pas non plus.

Alors pourquoi le dire ?

Bien sûr, il y a un goût de la belle démonstration. Quand on maîtrise un peu un art, on aime bien que cela serve. Et puis sans doute un goût un peu snob pour réduire à leur inconsistance, les bons sentiments parfois édifiés en carcan moral.

Mais au delà de cela, on participe alors à une forme de mauvaise foi puisque l’on fait croire que l’on dit quelque chose, alors que l’on ne dit rien. C’est ce que je me suis mis à appeler la mauvaise foi rhétorique.

Mauvaise foi, puisque l’on prétend quelque chose alors qu’on sait que c’est faux, on prétend implicitement que ce qu’on dit a un sens alors que cela n’es a pas. Et Rhétorique puisque c’est par la rhétorique qu’on passe d’un sens apparent à pas de sens du tout.

Par extension, je me suis aperçut que la mauvaise fois rhétorique était finalement assez courante, pas si facile à discerner, d’autant que leurs auteurs n’en sont pas toujours conscients. Comme si en se prenant au jeu de la démonstration et de la rhétorique, ils se mettaient à y croire et finissait par s’arrêter avant d’arriver au bout de leur mise en contradiction du langage. Du coup la mauvaise foi n’est pas celle de l’auteur, puisqu’il pense être de bonne foi, mais bien l’écueil d’un outil imparfaitement maîtrisé. En somme une mauvaise foi rhétorique !

Pour finir, je me demande si "faire quelque chose pour les autres" ce n’est pas justement avoir cette sensibilité qui fait qu’on a du plaisir à les voir heureux ?

P.-S.

Merci à l’ami qui m’a fait remarquer il y a longtemps qu’une de mes démonstrations rendait absurde mon postulat.

Merci à l’ami qui m’a permis de le voir chez quelqu’un d’autre et donc d’élaborer cette idée de mauvaise fois rhétorique.